cinéma




Le Che, 2ème partie : « Guerilla »
Un film de Steven Soderbergh

Cette deuxième partie du film de Steven Soderbergh, Guerilla, est l’antithèse de la marche victorieuse sur La Havane, elle s’apparente au film « Titanic » : on connaît la fin avant de voir le film, et pourtant le fait de voir ce bateau qui n’en finit pas de couler nous a tenus en haleine. Il en est de même pour le Che en Bolivie.

Le révolutionnaire va tout quitter, le devant de la scène et les responsabilités, mais aussi la femme qu’il a connue dans la guérilla cubaine et avec qu’il a eu quatre enfants. Dans une lettre à Fidel, le Che indique renoncer à sa citoyenneté cubaine ainsi qu’à toutes ses responsabilités et par conséquent à tous les honneurs et à toutes les facilités d’existence. Il va poursuivre la lutte que Fidel ne peut plus mener en raison de ses responsabilités. En réalité la « disparition » du Che avait été organisée depuis plusieurs mois. Sous couvert d’un pseudo voyage en URSS, le Che et ses futurs compagnons s’entraînaient à Cuba avec l’objectif de créer, à partir de la Bolivie, de multiples foyers de guérilla dans toute l’Amérique du Sud.



Le 7 novembre 1966, voilà donc le Che, méconnaissable en raison de son maquillage, qui atterrit à La Paz et entre en Bolivie sous couvert d’une mission pour l’Organisation des Etats Américains. Puis il gagne la zone qui a été choisie pour initier la guérilla révolutionnaire. Mais tout, dès le départ, préfigure déjà l’échec définitif que l’on connaît. Tout semble improvisé, ou selon un autre point du vue, rien n’a été organisé « comme prévu ». Il n’est pas sûr que les guerilleros annoncés soient bien au rendez vous, ils finiront cependant par arriver ; les soutiens politiques censés être acquis se dérobent. Mario Menje, le secrétaire général du Parti Communiste Bolivien qui a pourtant participé à l’entrainement des guerilleros à Cuba, et qui était censé rejoindre la guérilla, conteste l’opportunité de la démarche du Che ; il annonce, non seulement qu’il ne soutiendra pas la guérilla, mais qu’il supprimera les aides économiques aux familles des membres du parti qui la rejoindront. L’organisation de la guérilla est laborieuse à se mettre en place, les relations entre les « Cubains » et les guerilleros recrutés sur place sont souvent conflictuelles. La population paysanne n’est pas enthousiaste, elle hésite à vendre à la guérilla, même à des prix intéressants, les produits agricoles dont celle-ci a besoin.



Les premières escarmouches avec l’armée bolivienne semblent ne s’inscrire dans aucune stratégie d’ensemble. Et puis, de multiples petites (et grandes ?) trahisons font que l’armée, aidée ouvertement par les Etats-Unis, est au courant, presqu’en temps réel, des mouvements des guerilleros. Ceux-ci sont harcelés, bombardés et désorganisés ; ils finissent par ne plus avoir assez de nourriture, ils sont sales et ils donnent l’impression de ne plus comprendre pourquoi ils sont là. Le Che apparaît un peu comme l’orchestre sur le pont du Titanic, qui continue à jouer alors que le navire coule inexorablement, il soigne les blessés en plein combat et continue à exprimer sa foi révolutionnaire alors que tout s’écroule.
Certaines scènes du film sont pathétiques et dignes d’un western de John Ford. Celle, en particulier, des guerilleros arrivant dans un village où tout est « trop calme », ou bien celle dans laquelle des dizaines de soldats descendent dans le ravin Yuro où le Che et ses hommes se trouvent piégés dans un combat qui n’a d’autre issue que la mort ; et cela, se passe le 8 octobre 1967, onze mois après l’atterrissage à La Paz !



Cette deuxième partie du film de Steven Soderbergh, c’est encore du bon cinéma, avec d’excellents acteurs, et Benicio del Toro est toujours aussi convaincant, mais les militants pourront regretter que l’échec du Che en Bolivie soit traité aussi superficiellement. Pourquoi l’escapade africaine n’est-elle pas évoquée, alors qu’elle préfigure le désastre bolivien ? Pourquoi la zone choisie pour initier la guérilla est-elle une forêt tropicale, peu peuplée, du département de Santa Cruz, alors que la grande majorité de la population indienne, pour partie ouvrière dans les mines de Oruro ou de Potosi, vit sur l’Altiplano encore plus misérablement ? Pourquoi, le gouvernement bolivien, conseillé par les Etats-Unis, et le PC bolivien, « conseillé » par l’URSS, ont-ils eu la même volonté de « cacher » la présence du Che en Bolivie, alors qu’en 2005, notre guide bolivienne dans la région du lac Titicaca, qui avait 16 ans à l’époque et était militante du PC bolivien, nous a affirmé que les militants attendaient de savoir où était le Che pour aller le rejoindre ? Pourquoi les désaccords du Che avec Fidel ne sont-ils que suggérés, en deux occasions et subrepticement, par le truchement de petites phrases lapidaires de Fidel ? La première, avant de lire publiquement la lettre du Che lui annonçant un départ qu’il avait en réalité lui-même contribué à organiser, Fidel dira seulement : « Cette lettre se passe de commentaire ! ». La deuxième, lorsque en réponse à une question de Régis Debray sur les raisons de la présence du Che en Bolivie il répondra : « Je crois qu’il voulait se rapprocher de l’Argentine ! ». Alors que Benigno, dans son livre « Vie et mort de la révolution cubaine », ira jusqu’à affirmer que l’expédition bolivienne n’avait été qu’un prétexte pour se séparer d’un companero encombrant, pour Fidel lui-même et pour la mise en œuvre d’une politique plus conforme à celle voulue par l’URSS. Or, Benigno, qui n’a qu’un rôle effacé dans le film de Steven Soderbergh, est un Cubain de haut rang dans la hiérarchie révolutionnaire qui a été de toutes les actions avec le Che, depuis la Sierra Maestra jusque dans la forêt bolivienne, mais qui, avec six autres guerilleros, survivra au désastre. Rentré à Cuba en 1968, Benigno aura encore un long parcours au service d’une cause à laquelle, progressivement, il cessera de croire et qui le conduira à rompre avec Fidel en 1996 et à choisir l’exil.

Le Che restera donc, pour beaucoup, comme le dernier héros romantique qui est allé jusqu’au bout de ses idées, et c’est sans doute cette image-là que Steven Soderbergh a voulu donner de lui dans son film. Mais il reste le goût amer du héros, sans doute sacrifié mais bien pratique, que Fidel a utilisé pour faire passer auprès du peuple cubain une politique alignée sur celle de l’URSS.

Le « 26 de Julio » 1971 sur la « Plaza de la Revolucion », j’ai assisté au discours de Fidel qui marquait la fin officielle de la période romantique cubaine. D’une voix vibrante d’émotion Fidel a fait l’éloge du Che et a annoncé que « sa main » serait déposée sous le buste de Jose Marti qui était juste derrière lui. Dans la foule galvanisée, beaucoup pleuraient à l’évocation du Che. Quant à nous, ce discours signifiait notre dernier séjour à Cuba, l’année suivante ce seraient des Soviétiques qui nous succéderaient à l’Hôtel Nacional !

Alain