Lanternes magiques



"De surnaturelles apparitions multicolores où les légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané ...."

Le cinéma fit décliner et mourir une invention qui durant plusieurs siècles permit de projeter sur les murs du monde des images de toute nature : la lanterne magique. La Cinémathèque de Paris la sort du placard de l'oubli en nous proposant une exposition au parcours historique et thématique, tout à la fois beau, didactique et passionnant.



C'est l'astronome hollandais Huygens qui le premier, dès 1659, réfléchit au principe consistant à faire défiler des images colorées, agrandies et surtout non déformées, au mur, grâce à des plaques de verres dessinées et peintes glissées dans la fente d'une étrange boîte optique lumineuse équipée de lentilles et d'une cheminée.



Puis la lanterne magique (car c'est sous ce nom qu'elle fut galvaudée) quitta les cabinets des savants qui, pour un temps, s'en désintéréssèrent pour se répandre, portée sur le dos des colporteurs et dans les bagages des saltimbanques, dans les villes et les campagnes. Elle s'introduisit, avec succès, dans les grandes demeures bourgeoises ou nobles et les plus simples masures ou salles communes de villages - d'Europe ... jusqu'en Chine. Etaient ainsi montrés, pour le plaisir de tous, sous la forme de dessins aux traits vifs et charmants, des scènes de la vie quotidienne, des saynètes récréatives, des jeux d'enfants, des charges féroces destinées à faire rire, ou des évènements que l'on dirait, aujourd'hui, d'actualité.



Au fil du temps, les images magiques furent investies d'un pouvoir plus magique et enchanteur pour les yeux encore. D'abord simples de composition, elles se firent plus nuancées voire extraordinaires tableaux de paysages. (C'est le cas des plaques commandées par la Royal Polytechnic de Londres, institution abritant une salle dédiée, tout au long XIXème siècle, à des projections de qualité spécialisées dans la thématique du voyage et des images à caractère exotique et géographique). D'abord fixes, elles se muèrent en séquences en mouvement, animées astucieusement à l'aide de superposition de plaques ou de mécanismes à tirettes.



L'exposition fait alterner textes explicatifs, machines aux allures et aux architectures étonnantes, plaques dessinées classées selon des thèmes variés (vie quotidienne, contes et légendes, sciences, religion, fantômes et monstres ....) d'une très grande beauté, instruments d'artisans de chez Lapierre grand fabricant de lanternes magiques en France. Aux très nombreuses plaques illuminées sous vitrines répondent, en écho, leurs images aux murs et sur écrans ou encore des films d'auteurs rendant hommage à ce procédé (je pourrais, je crois, le répéter sans me lasser) si poétique (extraits d'oeuvres de Méliès, de "Fanny et Alexandre" ou "le Visage" de Bergman,"Casanova" de Fellini, "Ludwig" de Visconti etc)



Elle démontre, par ailleurs, très bien que l'histoire de la lanterne magique n'a cessé, entre le XVIIème et le XIXème siècles, d'osciller entre sciences et divertissement , entre édification des âmes et sujets graveleux, coquins voire érotiques, entre simplicité et constante prouesse et sophistication techniques et de créer des passages entre arts académiques dits nobles et arts populaires et forains, entre éducation, connaissance du monde et déploiement dans les esprits d'un vaste imaginaire poétique, dépaysant, grostesque, ou effrayant.
Elle se referme sur des films peints de Mac Laren et une oeuvre d'Anthony Mac Call, artiste contemporain travaillant sur la lumière blanche et l'obscurité.



Peut-être peut-on regretter qu'une faible place soit accordée aux créateurs de ces plaques dont on nous montre les couleurs, les vernis et les pinceaux mais sur lesquels on nous renseigne peu, finalement. (mais peut-être la documentation manque-t-elle en la matière ?)

Mais j'ai été très touchée, parvenue à la section "contes, mythes et légendes", de découvrir les plaques narrant la légende de Geneviève de Brabant, ancêtre imaginaire de la Duchesse de Guermantes, et chère au narrateur d' A la Recherche du temps perdu de Proust, lorsqu'enfant, il se perdait, mi-fasciné, mi-effrayé, dans la contemplation des images à la beauté de vitrail sortant de sa lanterne magique et courant sur les murs, le plafond, les rideaux et la porte de sa chambre de Combray.

Cécile.

"Lanterne magique et film peint. 400 ans de cinéma"
A la Cinémathèque de Paris, 51 rue de Bercy, 75012 Paris.
Jusqu'au 28 mars 2010.