Mon ascension du Kilimandjaro




10 ans que la montagne habite nos rêves, 5 ans que nous parlons de l’escalader, 6 mois que nous nous entraînons. Cette fois ça y est , nous sommes à Machame Gate, le point de départ d’une randonnée de 6 jours qui va nous mener sur le toit du continent.

1800 m
Nous sommes arrivés trop vite en Afrique, nous n’avons pas eu le temps de nous habituer à l’atmosphère. Nous restons désemparés devant les Tanzaniens qui se disputent nos bagages ! Après plusieurs heures de préparatif, la colonne de l’expédition s’ébranle enfin, vite dispersée selon la célérité de chaque porteur.


2300 m
Un orage tropical éclate, et une pluie chaude et lourde s’abat sur nous. Je croyais être partie suréquipée, mais l’équipement Goretex est finalement bien utile pour ne pas être noyée sous les trombes d’eau. Nous marchons dans une jungle dégoulinante, où les ficus géants et les arbres à latex s’entremêlent.

3000 m
Un thé bien chaud, une soupe de légumes, et un délicieux dîner nous réconfortent des efforts de la journée. Nous faisons plus ample connaissance avec nos compagnons : Alsaciens, Parisiens ou Belges, pharmacienne, ingénieur audiovisuel ou responsable financier, handballeur, nageur ou marathonien, de 24 (moi) à 55 ans (Babou, mon père). Il est difficile de parier sur les chances de réussite de chacun.





3400 m
Nous devançons l’orage quotidien et progressons dans une végétation beaucoup plus basse composée d’arbustes et de lobélias.




3800 m
En fin de journée, la couronne de nuages qui entoure la montagne se déchire, pour nous laisser entrevoir pour la première fois les neiges du sommet !
Dans la tente mess, Obed, notre guide, nous raconte d’étranges histoires sur la région : comment la montagne a été troquée contre le port de Mumbasa, comment les tribus qui vivent dans la plaine ont toutes un nom différent pour désigner la montagne, en gardant la même sonorité… Comme si ce nom existait avant les hommes…
J’ai des difficultés à m’endormir… Est-ce l’appréhension de l’ascension finale, l’humidité, ou le ronflement des dormeurs ? J’entend les pulsations de mon cœur, beaucoup plus rapide qu’au niveau de la mer.

4600 m
Nous déjeunons au chaud dans la tente mess au col de Lava Tower, alors que le grésil et un vent glacé sifflent à l’extérieur.

3900 m
Les conditions climatiques s’adoucissent alors que nous pénétrons dans la vallée de Baranco. Nous découvrons des plantes étonnantes : des séneçons géants au forme de chandelier, des buissons de microscopiques branches blanches, des orchidées violettes nichées dans une hampe florale.



4000 m
Nous gravissons une paroi abrupte.

4300 m
Nous évoluons à présent dans un paysage lunaire, complètement désert : des roches noires tourmentées, des traînées de gravier rouge, couleur de rouille ou couleur de sang, de rares touffes d’herbes desséchées par le froid et le soleil…

4550 m
Je suis harassée de ces quatre jours de randonnée et du manque de sommeil, et la montée vers le camp de base est difficile.



4600 m
Je ressens les effets du manque d’oxygène : j’ai un mal de tête, léger mais résistant aux comprimés, et des nausées. Heureusement, ces symptômes disparaissent au cours de la soirée, sans doute grâce au dîner convivial et aux chaleureux encouragements de l’équipe.
A cette altitude, même le court trajet de la tente mess à nos duvets nous essouffle.
La nuit est courte, nous nous réveillons à minuit et nous nous préparons pour l’ascension finale.

4900 m
Le ciel est dégagé et nous entamons la montée de l’abrupte pente sans lampe frontale, à la seule lueur des étoiles et de la pleine lune. Pour éviter de nous essouffler nous progressons de manière régulière, mais extrêmement lente. L’atmosphère est irréelle, chaque marcheur est concentré sur son effort, sur le moment que nous sommes en train de vivre, et nos esprits sont tendus vers l’objectif final, le sommet de la montagne. Les pauses sont brèves, les paroles sont rares.

5500 m
La montée est raide. Je ne souffre plus des effets de l’altitude, mais chaque pas représente un effort considérable. Mon pas est régulier, quasiment automatique, je peux tenir ce rythme longtemps… En revanche je suis incapable de fournir une dépense d’énergie supérieure à celle de la marche : j’ai l’impression d’atteindre une limite physique.
La montée est interminable. Pour éviter de me décourager, je dirige mes pensées vers autre chose que le sommet de la montagne. Je chante dans ma tête les chansons du Roi Lion. La rumeur africaine au tout début du film correspond parfaitement à mon état d’esprit : une impatiente anticipation, avant l’aube. Cette marche est hypnotique.

5750 m
Les premiers rayons de soleil traverse l’atmosphère, l’angoisse de ne pas y arriver disparaît : je suis parvenue au bord du cratère, à Stella Point. J’ai surmonté le plus dur, à présent le chemin s’élève en pente douce jusqu’à Uhuru Peak. Je contemple la vallée, bien en dessous de moi, et le paysage extraordinaire qui se colore progressivement : l’immense cratère noir, les vestiges de glacier bleus et la lueur de l’aube rouge, qui me fait oublier les 10 degrés en dessous de zéro.



5850 m
La fatigue se fait sentir mais le sommet est tellement proche maintenant que je ne sens pas les derniers mètres de dénivelés. Les marcheurs les plus rapides redescendent déjà, emmitouflés jusqu’aux narines mais avec dans les yeux un grand sourire.

5895 m




Je suis heureuse d’être ici.

Ce n’est pourtant pas un exploit physique hors du commun, c’est une aventure que vivent des milliers de gens chaque année. Mais je me sens comme une pionnière : je suis fière de moi, de mon corps et de ma volonté qui n’ont pas failli et qui m’ont emmenés jusqu’au sommet, et je suis euphorique, peut être à cause du manque d’oxygène, mais aussi de me sentir si haut, sur le toit de l’Afrique à côtoyer les nuages si loin au dessus de la plaine.
Je suis heureuse d’avoir réalisé un rêve.

5800 m
Je croise Babou, nos retrouvailles sont joyeuses : nous avons réussi tous les deux.

4600 m
Quelques heures de sommeil ont atténué ma fatigue mais n’ont pas effacé mes sensations. Nous comparons nos impressions. Les neuf personnes de notre groupe ont réussi, grâce aux précieux conseils de notre guide, et à la potion magique de notre cuisinier, la soupe aux courgettes !

3000 m
Nous descendons à un train d’enfer, en chantant :
« Mambo, mambo buana,
Abarigani, n’suri sana,
Wageni, moa karibishua,
Kilimanjaro, Hakuna matata ! »


Julie

***

Pour aller plus loin sur le Kili

> le roman d'Hemingway, Les neiges du Kilimandjaro
> le film tiré du roman
> deux écrivains décident l'assaut du Kili après un whisky : leur récit ici
> reportage de 21s sur l'inquiétante fonte des neiges
> le site portail sur le Kili (étymologie, forêt, neige, histoire...)