cinéma


In the electric mist / Dans la brume électrique
Le silence des bayous

L'histoire

Un shérif poursuit un tueur et les fantômes de la Louisiane

Les plaisirs du film

Tommy Lee Jones. Dans le même rôle que No country for old men : un shérif désabusé, mais sans le second degré. Ici, plus dur, plus troublé, plus dans l'action.

La nervosité de la caméra. Un montage très nerveux. On entre dans chaque scène quasiment au milieu de l'action. Aucune longueur, pas de graisse, que du muscle. Les accès de violence, filmés en plans-séquences, impressionnent bien plus que s'ils étaient morcelés, montés en cut. Tavernier capte les explosions de TLJ avec une acuité impressionnante.

Le contraste entre ces scènes violentes et les plans-séquences métaphysiques en compagnie du général sudiste fantôme. Une grande sérénité émane de ces plans, très osés dans un thriller. Ils ne ralentissent pas l'histoire, ils lui donnent un arrière-plan, une consistance. Ils rappellent le poids du passé dans toute histoire présente. Poids du passé d'autant plus important en Louisiane : l'esclavage, l'ouragan.

La photo. La lumière travaillée par Bruno Keyser, le chef opérateur, rend à merveille la touffeur des bayous et toute la beauté d'une végétation luxuriante. Végétation qui abrite morts, spectres, psychopathes et alligators. Dans une brume électrique.

*

Avant-première en présence de Bertrand Tavernier

Le film, thriller nerveux et métaphysique, se termine. Acteurs très bons, Louisiane superbement photographiée, intrigue claire et efficace. Applaudissements. Tavernier pénètre dans la salle encore plongée dans le noir. Seuls les premiers rangs, près de l'entrée, le reconnaissent. Un pas derrière la silhouette hitchcockienne de Claude-Jean Philippe, il regarde l'écran où défile la typo blanche sur fond noir du générique de fin. Dans ce clair-obscur, le grand corps massif du metteur en scène se dandine légèrement, au son de la musique cajun.

Fin du générique, les lumières se rallument. Nouveaux applaudissements. Bertrand Tavernier et Claude-Jean Philippe se saisissent des micros soigneusement branchés avant la séance par le technicien de l'Arlequin, sosie de Philippe Delerm.

Le réalisateur, crinière blanche, petite écharpe vert olive, voix forte aux intonations parfois gouailleuses, répond aux questions du public. Il les écoute tête baissée, remercie et répond au quart de tour, sans hésiter à couper son interlocuteur. On le sent encore habité par son film, par un tournage long, par le désaccord avec le producteur : à l'arrivée, deux films sortent en même temps. La version producteur, aux Etats-Unis, en dvd. La version Tavernier, en France, au cinéma. La différence entre les deux ? Celle de Tavernier est plus proche du livre, plus elliptique, plus mystérieuse.

Il revient aussi sur les difficultés du tournage dans les bayous, avec des kilomètres de câbles à dérouler dans l'eau et la végétation. La joie de côtoyer Tommy Lee Jones et de réécrire sans cesse le scénario avec lui.


Le montage

Pour éviter toute longueur, j'ai voulu couper chaque scène au plus serré. On entre quasiment au milieu de la scène, directement dans le vif du sujet.


L'accent


L’accent permet d’induire une démarche, une façon de s’habiller, c’est Mitchum qui disait l’accent n’est pas un accent, c’est... it's a way of life.



Violence et plan-séquence


Pour ce film en particulier, je savais qu’il fallait que la caméra incorpore la notion exacte de durée. Par exemple pour rendre la violence. C’est une manière pour moi de m’opposer à cette vogue actuelle qui consiste à dilater l’effet. Il y a aujourd'hui une inflation de plans, la violence paraît toujours avoir 2 ou 3 mn de trop et finit par être chorégraphique, plaisante : on ne la prend plus au sérieux.

Pour tous les moments de violence, je voulais au contraire retrouver une espèce de rapidité, de sécheresse, une économie, le refus de manipuler que j’admirais chez Anthony Mann ou Richard Fleisher. Chaque fois qu’ils construisaient une séquence de violence, ils y incorporaient la notion de durée. Dans leurs films, et dans celui-ci, chaque fois la séquence a le temps exact de l’explosion de la violence.


Je voulais que ces scènes soient filmées en plans-séquences, comme la première explosion de colère de Tommy Lee Jones. Que la caméra cadre l’action mais surtout se concentre sur le regard de Tommy Lee Jones. Là aussi ça a été une bataille avec le producteur. On me demandait des inserts du coup de pied, de la main qui prend le sucrier… Mais la violence, c’est dans le regard de Tommy Lee Jones, pas dans le gros plan d’un sucrier qui écrase un nez, ça pour moi c’est juste des trucs jouissifs.


Il fallait aussi un plan-séquence pour la rencontre avec le général. Je voulais que ce soit un seul plan, je voulais partir du regard de Tommy Lee Jones, puis voir ce qu’il voit, ce qui sort de l’ombre. On y est arrivé, alors oui cela nécessitait un travail à la steadycam, compliqué, avec une grue. Ces exemples pour montrer que le plan-séquence n'est jamais gratuit, il obéit à une idée maîtresse.


Fantômes


Je ne voulais pas que les scènes avec le général (un général sudiste apparaît à Tommy Lee Jones/Robicheaux) soient différentes des autres. Pour moi le général n’est pas un fantôme. C’est quelqu’un qui existe vraiment. C’est un fantôme comme il y en a dans les films de Luis Bunuel : les fantômes qui sont là, qui font partie de votre vie, qu’il faut accepter tels qu’ils sont. Il n'est pas particulièrement menaçant donc je n’allais pas m’amuser à le filmer avec des filtres, avec des couleurs, avec des objectifs déformants, d’autant plus qu’il apparaît dans des lieux très familiers, sous un porche, sur un terrain de base ball. Il fait partie de l’histoire de tous les jours.

Les fantômes, vous les côtoyez, c’est à vous de les écouter.
C'est le passé qui revient visiter le présent.

Deux anecdotes à ce propos, à propos de la maison que j’habitais à Iberia pendant le tournage. Cette maison avait appartenu à la grand-tante de Burke, l’auteur du livre. Sur sa fin, elle disait à ses visiteurs d’aller prendre soin des enfants qui jouaient dans le jardin. Mais dans le jardin, pas d'enfants. Donc on la pensait folle. Mais à la vente de la maison, des papiers ont établi que cette maison avait été un jardin d’enfants, où elle avait joué entre 4 et 8 ans, où elle avait même rencontré l’homme avec lequel elle allait se marier. Elle retrouvait tout simplement son passé.

Dans cette même maison, se dresse un chêne où des esclaves se trouvaient enchaînés. Burke raconte qu’avec son père ils avaient creusé sous les racines et retrouvé des chaînes. Ils touchaient littéralement du doigt le passé. Ce n’était pas un passé abstrait. Ils avaient un bout de fer dans les mains, sorti de sous un arbre qui vivait toujours.


Le casting

Tommy Lee Jones dans le rôle de Dave Robicheaux, shérif


Il est à l'écran pendant tout le film. Dans toutes les scènes. Tommy Lee Jones a pris du temps pour dire oui. Il a accepté le rôle à condition de pouvoir revoir les dialogues et il avait raison. Il a vraiment mis la main à la pâte, au point que 2 ou 3 scènes sont intégralement de lui, écrites à ma demande. La scène de la pêche est entièrement écrite par Tommy Lee Jones. La scène où Alafair demande à Elrod ce que c’est qu’être une star aussi.


Le caractère de Tommy Lee Jones
? Pas toujours très facile. J'ai compris qu'il a une façade assez dure pour quelqu’un de très sensible. Clint Eastwood m’avait prévenu. Il n’est pas très convivial sur le tournage, mais dès qu’on dit moteur il est formidable et au montage on tombe amoureux.


Kelly Mac Donald dans le rôle de Kelly, starlette


On ne trouvait pas de comédienne. Celles qu’on trouvait ne me plaisaient pas. Jusqu’au moment où la directrice de casting nous a fait rencontrer Kelly Mac Donald. Et là après 3 mn de discussions je ne voulais plus qu’elle. Et j’ai appelé Joël Cohen qui venait de travailler avec elle sur No country for old men, pas encore sorti à l’époque. Il m’a dit « elle est formidable et elle nous a eus complètement : elle est arrivée très tard sur le tournage de No country et elle n’a eu qu’une nuit pour apprendre l’accent du Texas. Même Tommy Lee Jones a cru qu’elle était texane. Alors qu’après le "coupez", elle prenait son accent de Glasgow."
Tommy a un respect énorme pour elle. Elle l’a totalement bluffé.



Peter Sarsgaard dans le rôle d'Elrod Sykes, movie star


J’avais vu Peter Sarsgaard dans plusieurs films dont Garden State. Je trouve qu’il joue l’ivrogne sans aucun des clichés de l’ivrogne. Euphorique, léger, qui a toujours l’air d’être à 40 cm au-dessus du sol. Toujours de bonne composition, il amène une légèreté extraordinaire. Bon, au départ, Tommy Lee Jones pensait qu’il n’avait pas le poids pour le rôle. Finalement, dès le premier jour il m’a complimenté pour ce choix.

Et pour Goodman pour jouer le mafieux Baboli, je n'avais là non plus pas pensé à un autre acteur.



Le titre

J'adore ce titre Dans la brume électrique. J’ai appelé l'auteur, Burke, car le chef-opérateur, Bruno Keyser, voulait savoir comment éclairer cette brume. Burke a répondu : bleutée. Pour moi, l'association des mots "brume" et "électrique" colle très bien au film. C'est très poétique, comme d'autres de ses titres, la pluie des néons, ou morning for flamingos.


Explorer, s'imprégner, montrer


Je suis très content d’être un metteur en scène français, et aussi d’être un de ceux qui a le plus voyagé. Beaucoup de mes films se passent à l’étranger, comme le dernier, au Cambodge, avec quelques scènes en Auvergne. Je trouve bien que le cinéma soit une occasion de faire voyager, de faire découvrir. J’adore explorer, découvrir des pays, des lieux, des époques, plonger dans un univers que je ne connais pas, parler de métiers que je ne connais pas, m’en imprégner et le faire découvrir, de le communiquer.

Le son du bayou

Dans les moments affreux de doute que j’ai eus sur ce film, deux personnes m’ont vraiment aidé, ma femme et Bruno Keyser. Mais aussi puis tous les acteurs, les techniciens avec qui j'ai correspondu par mail lorsque je suis revenu en France pour finir le montage comme je le voulais. Et tenez-vous bien, les ingénieurs du son m’ont envoyé des heures et des heures d’ambiance pour le film. Je me suis donc retrouvé avec 15 h d’ambiance de bayou, de bruits d’oiseaux, de tous les bruits de cette région.
Ils m’ont envoyé ça en cadeau,
pour me remercier : ça veut dire que quelque chose avait vachement bien marché sur ce film.





sortie 15 avril
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